Jeunes filles élèves du CET de Vaux-le-Pénil, 1972

Présentation du film : CET 1972
Titre : Jeunes filles élèves du collège d’enseignement technique de Vaux-le-Pénil, février 1972.
Réalisation : Liliane Terrier et Jean-Louis Boissier
En relation avec le cours des départements Cinéma et Arts-Plastiques de Paris 8-Vincennes : « Mouvement de la jeunesse »
Film tourné avec cinq élèves du Collège d’enseignement technique de Vaux-le-Pénil et leur professeur de français Liliane Terrier, février 1972. Extraits (5 mn 18 s) choisis sur 30 minutes de rushes. Éclair-Coutant 16 mm, son synchrone sur Nagra. Montage 2015 : Marco La Gala. Production : Université de Vincennes. Numérisation : CNC, BnF, octobre 2015. Première projection publique : Vidéo et après, Centre Pompidou, 16 novembre 2015.

Jeunes filles élèves du CET de Vaux-le-Pénil, 1972, Jean-Louis Boissier et Liliane Terrier, version de 10 mn présentée dans l’exposition « L’Art d’apprendre. Une école des créateurs » au Centre Pompidou-Metz en 2022.

Liliane Terrier, le 10 novembre 2015, retrace la genèse du film, et l’esthétique qui en résultera :

« Vaux-le-Pénil est un village péri-urbain proche de Melun. En 1972, je suis en arts plastiques au Centre universitaire expérimental de Vincennes, après une licence de lettres obtenue à Grenoble, grâce à laquelle j’ai un emploi d’enseignante de français dans le collège d’enseignement technique de Vaux le Pénil (option broderie-repassage). Les jeunes filles expliquent dans le film ce qu’elles y apprennent. J’habite à Paris, je vais à Melun en train par la Gare de Lyon, puis un car m’emmène jusqu’au collège. En traversant Melun en car, je garde le souvenir d’avoir vu des prisonniers sur le toit de la prison. C’est l’époque des révoltes des prisonniers de droit commun soutenues par Foucault, Defert, Deleuze. Ou l’ai-je rêvé ? L’idée de filmer les jeunes filles est liée à ça, elles sont elles-mêmes incarcérées dans ce CET. La figure du bosquet où nous choisissons de les filmer, dans le parc de Melun, — réminiscence rousseauiste de La Nouvelle Héloïse (une rencontre amoureuse avec un témoin, dans un bosquet, qui fait événement http://circonstances.net/moments/?p=126) ou de ces groupes de figurines bosquettisées, en porcelaine de Derby * (18e siècle) —, est le lieu d’une échappatoire dans une pseudo nature à leur condition de prisonnières, comme le toit de la prison de Melun, devenu terrasse à l’air libre où se rassemblaient les prisonniers. On pourrait aussi évoquer le peuple reforestisé de Straub et Huillet, ou les paysans dans les marais de Païsa de Rossellini.
Bosquettisées veut aussi dire, chez Rousseau, inscrites dans notre mémoire, ici par le film, car pour ma part je les avais complètement oubliées, ces jeunes filles, jeunes travailleuses en formation. Il faut souligner la qualité de l’image cinématographique, – celle d’une estampe gravée en taille douce et eau-forte dix huitièmiste, technique particulièrement apte au rendu minutieux du feuillage et des corps** —, cadrés dans notre film en plan américain.
Ce groupe dialogue avec la caméra fixe – le témoin – (sauf de très légers zooms) et se reconfigure devant elle, continuellement, dans le cadre, dans une micro-gestuelle articulée sur de micro-propos calibrés, chacune des jeunes filles ayant pleine conscience du temps de la bobine filmique lancée par le clap, (dont elle s’emparent très vite) – dédiée chacune à une question très brève (trois quatre mots lancés par moi, de derrière la caméra, à la volée, vers le groupe) mais qui appelait pour chacune, un lot de réponses individuelles individuées, brèves, contenues dans un seul plan séquence et ça a marché pour les trois questions. Un exercice d’intelligence collective humaine grâce à la caméra, pour faire l’histoire du 20e siècle. »

Jean-Louis Boissier, le 10 novembre 2015, à propos du film analyse une pratique artistique qui relève  de la notion brechtienne de didactique en art :

« En octobre 1969, je suis invité par Frank Popper à contribuer à L’Atelier du spectateur de la Biennale de Paris. Ceci va me conduire à devenir enseignant en art à l’Université de Vincennes à partir de novembre 1969. Au cours de l’année 1968 et de 1969, je suis associé par Gaston Jung au théâtre de recherche Les Drapiers, attaché au Théâtre national de Strasbourg, pour la réalisation de L’Importance d’être d’accord, pièce didactique de Bertolt Brecht. En 1969, avec Jean-Louis Boucher et Michel Séméniako, non montons aux Drapiers le « spectacle environnement » titré F3 une leçon d’observation. En 1970, je réalise à Strasbourg, au titre du GREC (Groupe de recherche et d’essais cinématographiques) le film Dimanche au bord du Rhin, des personnages en costumes soviétiques de 1917 prononçant, dans un parc à destination des passants, des paroles historiques. C’est ainsi qu’en 1972, étant enseignant à la fois en arts plastiques et en cinéma, je m’attache à proposer une pratique qui se réfère à la notion de didactique en art. Je tente d’exercer, dans des films et des installations, le modèle du Lehrstück de Brecht : « La pièce didactique enseigne parce qu’elle est jouée, non parce qu’elle est vue. Elle n’a pas besoin de spectateur, mais elle peut tirer parti de lui. »

Notes du texte de Liliane


*Derby -soft-paste-english-porcelain : « By 1750, the Derby China Works had been established by china-maker Andrew Planché (1728-1805), a Huguenot and apprentice goldsmith. In 1756, William Duesbury (1725-86), an enamel-painter, and John Heath, Planché’s financier, formed a partnership and the factory expanded. In 1770, William Duesbury & Co. purchased the Chelsea Porcelain factory, operating Derby and Chelsea jointly until 1784 when they closed Chelsea. This acquisition brought into the fold the knowledge and skills of the Chelsea works. In 1774, a showroom was opened in Covent Garden, London. In 1776, they purchased the Bow factory. William junior (1763-96) succeeded his father in 1786 and enlarged the factory. Subsequent owners could not keep up with the times and the factory folded in 1848. »


** Estampe de Moreau le Jeune reprenant la scène du bosquet de La Nouvelle Heloïse.

Addendum aux notes
Autre bosquet mais qualifié de « Buisson conspiratif », dans l’actualité des attentats du 13 novembre 2015, tragiquement contemporains de la projection du 16 novembre 2015.
« C’est à Aubervilliers, dans une zone industrielle indécise en contrebas de l’A86, qu’ils [Abdelhamid Abaaoud et son complice] éliront domicile sur un talus pour les quatre prochaines nuits [du 13, 14, 15, 16 novembre 2015]. Les policiers chargés d’inspecter quelques jours plus tard ce « buisson conspiratif »(1) en dresseront la description suivante : à l’entrée du bosquet, s’ouvre un passage dans la végétation large de 80 centimètres et long de 3 mètres. La pente est raide, les fonctionnaires doivent « s’agripper aux branches » pour progresser jusqu’au plateau. « A notre droite, nous découvrons un petit espace dans la végétation protégé par les branches et les feuillages. Nous pouvons ainsi le décrire comme un igloo végétal de par sa forme et sa conception », écrit le brigadier de la « Crim’ » dans son rapport. Dans ce premier espace d’environ 3 mètres carrés, les policiers découvrent un emballage de Bounty, une canette d’Oasis, une bouteille d’eau et « une pile 9 volts entourée d’adhésif gris avec un fil électrique dépassant à la base ». Un deuxième abri, sur la gauche, semble servir de chambre : il contient un matelas en mousse et « un semblant de tête de lit résultant d’un bricolage ». Tandis qu’Abdelhamid Abaaoud et son complice s’apprêtent à passer la nuit [du 13 au 14 novembre] au milieu des feuillages dans la banlieue nord, Salah Abdeslam attend son exfiltration au sud de Paris.» [puis viendra l’épisode de Saint-Denis 17 novembre : un immeuble de la ville était pris d’assaut par les policiers du Raid. A l’intérieur d’un appartement s’était retranché l’organisateur présumé des attentats du 13 novembre 2015, Abdelhamid Abaaoud, avec un complice et sa cousine.]
(1) Procès du 13-Novembre : l’humilité de François Molins à l’heure du bilan, Pascale Robert-Diard
« On n’était pas préparé à des attaques d’une telle ampleur », a témoigné mercredi l’ancien procureur, Libération 18 novembre 2021. Extrait : «Sur l’intervention jugée tardive de la BRI au Bataclan, François Molins observe : « Il est tout à fait légitime de se demander si on n’aurait pas pu faire mieux. Mais on n’est pas au Far West où on rentre dans un saloon avec des portes qui s’ouvrent et où on tire de partout. » Il assume aussi de ne pas avoir tenté d’interpeller les deux terroristes en fuite, Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh, dès que leur planque dans un buisson a été identifiée et d’avoir attendu qu’ils soient « fixés » dans un logement de Saint-Denis pour lancer l’assaut, le 18 novembre à 4 heures du matin. « On a estimé que le risque d’intervenir sur la voie publique était trop important. » Sur l’assaut de la rue du Corbillon, il convient : « Ce n’est pas la meilleure opération. Tout le monde est un peu tétanisé après cette tuerie de masse face à des gens sans limites. La porte ne saute pas et je ne sais toujours pas pourquoi. Il y a eu une volonté de l’unité qui consistait à saturer l’espace. Ils vont tirer, tirer, tirer. Mais je n’émets aucune critique contre les gens du RAID qui ont risqué leur vie contre des terroristes. »