Le haïku

Le haïku, terme popularisé par Shiki (1867-1902), est une forme classique de la poésie japonaise dont la paternité est attribuée à Bashō (1644-1694). Depuis plus de trois siècles, le haïku, ainsi que le autres formes poétiques d’origine japonaise, s’est développé au Japon puis en Occident. Sur l’origine du haiku, on peut lire : Philippe Forest, « Sentir la douleur, voir la beauté. Masoka Shiki (1867-1902) », in Haikus, etc., Éditions Cécile Defaut, Nantes, 2008, p. 27; pp. 81-97
Note : 俳句, haiku en transcription romanisée, s’orthographie aussi haïku pour en souligner la prononciation. Écouter : http://www.rvdv.net/haikus/wp-mp3/haiku.mp3

Bashō met un terme à ce conflit en élevant le haïkaï au rang de véritable poème. Une grande importance est accordée à la première strophe du haïkaï, dénommée hokku. Elle doit obligatoirement suggérer la saison dans laquelle la réunion poétique est organisée. au contraire des autres strophes du haïkaï, toutes liées à la précédente, le hokku possède une existence propre. c’est pourquoi les poètes ont commencé à écrire des hokku en dehors des séances d’écriture, afin de les polir pour un usage ultérieur. Bashō a été un des premiers à le faire même si, de son propre aveu, il préférait les réunions collectives. À l’aube du XXe siècle, le renga n’était plus beaucoup pratiqué au Japon, mais les poètes écrivaient toujours des « hokku » totalement indépendants de tout poème chaîné. Pour désigner ces poèmes isolés et éviter ainsi de les confondre avec les véritables hokku, premières strophes d’un rendu, le poète Shiki a créé le néologisme haïku.

Makoto Kemmoku & Dominique Chipot, Bashō, Seigneur ermite, La Table Ronde, Paris, 2012, p. 15. (Voir : Bashō)

Esthétique  du haïku

Rien de plus que la saisie éphémère d’un instant : prêt à être oublié, à jamais inoubliable. […] Car le haïku échappe à la finalité ordinaire de la littérature : il ne laisse pas de trace derrière lui. « Fourmi sans ombre », comme le note justement Seishi — et comme l’a tout de suite compris Roland Barthes : … « le haïku s’enroule sur lui-même, le sillage du signe qui semble avoir été tracé, s’efface : rien n’a été acquis, la pierre du mot a été jetée pour rien : ni vagues ni coulée de sens. (1) »
1 : Roland Barthes, l’Empire des signes, Skira, Genève, 1970.

Pourtant il importe de dire cette part insaisissable qui en toute chose est ce qui précisément bouleverse.

Nos haïkistes, on l’a vu, répugnent à s’enfermer dans la comparaison. Non que la métaphore leur déplaise, bien au  contraire, mais qu’ils refusent d’en faire une fin (Ce n’est pas pour rien qu’ils ignorent le mot « comme » au sens étroitement comparatif.) C’est que la métaphore perd à leurs yeux singulièrement de la force pour peu qu’elle soit directement énoncée : pour peu qu’on s’y arrête. Elle demande au contraire à être autant que possible déduite du discours — comme seront déduits de sa trouble formulation mille et un réseaux de ressemblance/dissemblance au fils desquels l’esprit est invité à s’égarer.

Maurice Coyaud, Fourmis sans ombre. Le Livre du haïku, Phébus, 1978, pp. 15-16, p. 255 (Cet ouvrage est l’une des principales sources de l’analyse du haïku par Roland Barthes.)

Le haikiste semble photographier, enregistrer (André Breton, dans le Premier Manifeste du surréalisme, n’appelait-il pas les poètes à être des « appareils enregistreurs » ?) un simple rien, mais dont l’éclat irradierait sans trêve. Il ne conçoit pas, il découvre. Il met la focale au point sur ce qui est là, maintenant, inépuisable dans l’éphémère — non pas une essence, mais une dynamique,une énergie. Loin d’être asservi par un quelconque point de vue, il cherche un point de vision — un nouvel angle.
Art de l’ellipse et du bref, le haiku se tient à l’évidence du côté de la « phrase vivante », mais il procède par retranchement, par soustraction — par dépouillement.

Au travail de contraction du poète […] fait écho la perception « expansionnelle » du lecteur, traversé tout à coup par un chatoiement polyphonique, une sorte de moment-haiku, où il retrouvera partie prenante.

Corinne Atlan et Zéno Bianu, Haïku. Anthologie du poème court japonais, Gallimard, 2002, pp. 9-11-12

[…] oubliant que le haiku a d’abord été un jeu et que jusqu’à aujourd’hui, il n’a jamais cessé de l’être, qu’il y a dans sa concision concrète une désinvolture manifeste à l’égard de tout discours et qu’une telle désinvolture rend le haiku irréductiblement réfractaire à la récupération par l’idéalisme philosophique, le spiritualisme poétique qui, précisément, ont fait en Occident le succès de ce genre littéraire. En Amérique, en Europe, le minimalisme moderne d’une esthétique de l’indicible, de l’ineffable, du fragmentaire se recommande du haiku en oubliant parfois que celui-ci est d’abord l’enfance de l’art s’exerçant contre toute littérature, toute philosophie, toute religion, pointant du doigt la merveilleuse et tendre évidence d’un monde qui se suffit indéfiniment à lui-même.

On lit d’ordinaire le haiku comme une sorte d’instantané poétique dont la brièveté se suffit à elle-même : un geste, un signe, une empreinte témoignant d’une vision par laquelle le réel se manifeste et où tout se condense et s’abolit ainsi. Et cela est juste sans doute. D’autant plus pour Shiki dont toute la pensée explicite vise à conférer aux dix-sept ou aux trentre-et-une syllabes du poème une dignité superbe et suffisante. Mais l’illumination solitaire que le haiku manifeste suppose encore toute la prose du monde du fond de laquelle il se détache et où il scintille enfin. C’est précisément pourquoi toutes les grandes œuvres de la littérature japonaise — quel que soit le genre Dans lequel on les range — participent du même balancement par lequel s’appellent et s’opposent la continuité du récit et la discontinuité du poème.

Le haiku n’est l’expression d’aucune sagesse, juste une incision très légère faite dans la trame du temps, la césure nette et infime par où se laisse apercevoir la vrille d’un vertige ouvrant sur nulle part, précipitant le passage du présent puis le suspendant sur la pointe insignifiante d’un seul instant.

Philippe Forest, Haikus, etc., Éditions Cécile Defaut, Nantes, 2008, p. 27; pp. 93-84; quatrième de couverture

Philippe Forest Haikus

Sites dédiés aux haïkus

Site de Dominique Chipot : http://www.dominiquechipot.fr